Laurent di Mascio, ou la médiocrité absolue du service



L’histoire que je m’apprête à vous raconter traite de la qualité. Vous vous doutez que je nʼai pas choisi ce thème au hasard, le mot qualité fait sans doute partie du top 5 de ceux qui reviennent le plus souvent sur Hommes d’Influence, tant jʼen ressens profondément le manque aujourdʼhui dans les relations, les choses et les gens. Mais justement, comment définir ce qui nʼexiste plus ? Cʼest lʼhistoire dʼune paire de chaussures qui avait disparu, et d’un cordonnier : Laurent di Mascio. Ou plutôt, de deux cordonniers. A Paris.

A la recherche du cordonnier perdu

Oui, disparue. Ceux dʼentre vous qui faisaient partie du relooking à Milan dʼoctobre dernier le savent : à lʼissue dʼune soirée à lʼappartement où le Prosecco a coulé à flot, dans lʼintervalle entre la fin dʼune courte nuit de sommeil et le départ précipité pour la gare, jʼai eu le temps de constater la disparition dʼune de mes paires de chaussures. Et un malheur nʼarrivant bien sûr jamais seul, le voleur parmi les invités nʼaurait pas pu se contenter de mes vieux mocassins imbibés de pluie et de poussière. Non, il lui a fallu mes bottines préférées, celles que je recouvrais généreusement chaque semaine de cirage frais sorti droit du pommadier cognac acheté au BHV.

Part 2: Obsession

Après une semaine dʼintense dépression telle quʼattendue en pareille occasion, jʼai entamé une campagne de prospection web digne du FBI, à la recherche dʼune paire cachée au fond dʼun stock dʼun site marchand. Pointure 46, collection épuisée, jʼétais mal barré. Mais il paraît que You can always get what you want, et là je voulais beaucoup.

Part 3: Récompense

Après plusieurs semaines et autant dʼalertes emails déposées un peu partout comme des pièges à loup, jʼaccueille la nouvelle tant attendue : une paire du même modèle, même pointure (la dernière !) disponible en promotion sur un site à lʼétranger.

  • Problème : la couleur. Les miennes étaient fauves/cognac, celles-ci blanches (écrues, dira t-on pour être gentil avec le ou la styliste qui a osé commettre ce massacre).
  • Problème n°2 : la matière : les miennes étaient en cuir lisse, celles-ci dans ce qui est généralement appelé du «daim».

Mais aucun de ces deux ridicules détails ne mʼa empêché de battre le record du monde de dégainage de carte visa, et cinq minutes plus tard la confirmation de commande était imprimée et sortait toute chaude et toute tremblante de mon imprimante wi-fi (que jʼai finalement réussi à configurer, il suffisait de ne rien respecter des prescriptions du mode dʼemploi). Et la qualité, alors, dans tout ça? Jʼy viens.

Laurent di Mascio, l’homme qui teignait les chaussures

Evidemment, vous vous doutez que mon projet nʼétait pas de me promener dans paris avec une paire de bottes blanches. Aurais-je habité à Dallas et conduit une Ford Mustang bleue pétrole, cʼeut pu sʼenvisager, mais en lʼoccurrence cʼétait plutôt les teinter, quʼil me fallait. Deux ou trois forums de geeks-du-soulier plus tard (du genre de ceux qui vous insultent quand vous vous présentez poliment et dans la rubrique adéquate, sans doute parce que vous avez moins de chaussures – et surtout moins dʼannées et de bedaine – quʼeux), jʼétais fermement convaincu que lʼhomme quʼil me fallait se nommait Laurent di Mascio.

A la recherche de la perle rare

Glaceur,teinteur, coloriste et que sais-je encore, que nʼavais-je pas lu comme éloges de cet individu chez qui jʼallais bientôt entrer tout émoustillé à lʼidée de me faire reloooker les pieds. Cʼest que teindre du blanc en marron, lorsquʼon se prétend du métier, ça ne devait pas forcer son talent.

«Cʼest compliqué, laissez-moi quinze jours. Je vous appelle dès que cʼest prêt.»

Cʼest sur cette maigre promesse – qui aurait déjà dû me mettre la puce à lʼoreille – que nous nous sommes quittés au beau milieu triste et insipide matinée de novembre. Deux semaines plus tard (soit, si mes calculs sont exacts, quinze jours), sans nouvelles ni de mes chaussures ni de lui, jʼai appelé le numéro indiqué sur la carte de visite qui tenait lieu de reçu. En vain. Deuxième tentative le lendemain, idem. Troisième le surlendemain, itou. Je laisse un message lui demandant de me rappeler. Jʼaurais tout autant pu déclarer ma flamme à la statue de la liberté qui se trouve en face du pont Mirabeau, le résultat aurait été à peu près le même.

«Ah bonjour Mr E. Cʼest que voyez-vous, je nʼai pas eu le temps de commencer»

Cʼest la seule réponse que jʼai obtenue en remerciement pour avoir pris le temps (1h, tout de même, aller-retour) de me déplacer jusquʼà sa boutique.

«Ce sera fait pour samedi prochain»

Et le samedi prochain en question, non seulement rien nʼétait fait, mais cʼest une nouvelle promesse de samedi prochain qui sʼest dessinée à lʼhorizon. Puis une autre. Et encore une autre. Jʼai attendu 4 mois (quatre mois !) un travail dont lʼespoir mʼavait conduit à penser quʼil devait forcément être de qualité fantastique pour se faire désirer si longtemps.

La qualité ne court pas les rues, preuves à l’appui

Jaune pisseux. Dʼécru à jaune pisseux, voilà ce que ces 4 mois de patience mʼavaient rapporté. Pas franchement ce quʼil convient dʼappeler des intérêts composés, en revanche, moi, jʼétais décomposé. La couleur nʼavait ni profondeur, ni éclat, ni – surtout – couleur. Il ne faisait pas lʼombre dʼun doute quʼil sʼétait contenté dʼun coup de pinceau bâclé la veille de mon arrivée. Si jʼavais gratté en quelque endroit ce nʼaurait probablement pas été sec. Jʼai déjà vu plus de talent chez mon boucher dans la façon dont il enroule son gigot dans de la ficelle. Pour être gentil, nous dirons que cʼétait à chier.

Un commerçant qui multiplie par 8 son délai de livraison devait – en tous cas cʼest ainsi que je lʼimaginais – écraser son caquet plus fin quʼune feuille A4 et oublier la facture initiale dans un coin de sa tête. Mais pas Monsieur Laurent Di Mascio, aux yeux de qui 4 mois dʼattente, autant de déplacements inutiles et un résultat indigne nʼoctroient que 5€ de remise, faisant passer lʼindigeste facture de 75€ à 70.

« Et surtout, si la couleur nʼétait pas tout à fait celle que vous vouliez, revenez me voir, hein »

Le diable se cache dans les détails, comme la qualité

A cet instant précis, songeant en mon for intérieur quʼil eut été plus agréable de me faire écraser par un troupeau dʼéléphant en talons aiguilles que dʼinteragir une minute de plus avec cette face de pet, je tournai les talons et en quelques secondes disparut au coin de la rue.

La délivrance

Nouvelle adresse, nouveau «professionnel». Ou plutôt, pas si nouveau que ça, cʼest Catelan. Je leur avais déjà confié quelques travaux au cours des dernières années, mais pour une raison somme toute inexplicable, je leur avais préféré lʼautre huluberlu ; sans doute la puissance de lʼexpertise perçue (ceux qui ont fait lʼatelier dream-job me comprendront). 8 jours, voilà le délai quʼils mʼont promis.

Et quʼils ont tenu. Cʼétait même prêt la veille. Et oublié le jaune pisse sur daim : ils ont gratté le daim pour en faire une sorte de cuir gras du plus bel effet (opération jugée impossible par qui vous savez…), puis opéré un savant mélange de teintes pour aboutir à un fauve-cognac patiné du plus bel effet.

Le prix ? Kif-kif, à peine plus ; pas déterminant. Ma satisfaction ? Quʼil existe encore des maisons de qualité, des gens qui ne dormiraient pas correctement en trichant, en mentant et en volant leurs clients. Alors je ne vous dis pas de courir donner tous vos souliers à Catelan. Je nʼai pas dʼactions dans la maison, et il leur arrive sans doute aussi de faillir, comme tout le monde. Mais le contraste de traitement, de travail, de qualité a été si grand entre ces deux expériences que je nʼai pas résisté à lʼenvie de vous le faire partager.

Je ne suis pas parfait, loin de là. Mais entre ces deux visions du monde, je vous laisse deviner laquelle je partage.

Stéphane


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20 commentaires

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  • Bonjour Stéphane,
    Vous gâchez votre talent de conteur, LDM est tout sauf un homme de l’art.
    Il s est retrouvé à exercer cette profession sans en avoir appris les rudiments, donc à part peindre grossièrement des souliers, il ne saura guère faire mieux que de les cirer.
    Et vous n’avez pas essayé ses « souliers » écru prêt à être teint ? Ils sont importables…….
    Je partage votre avis sur ce charlatan!

  • Toute la splendeur nauséabonde d’internet résumée dans cet article,
    Un petit Monsieur colérique à la critique facile qui a été pris d’une diarrhée verbale (je comprends, le pauvre, il a perdu une paire de tongs)
    J’aime bien les coïncidences en comparent la date de l’article avec une autre critique toute aussi intelligente, mais deux ans après (même petit monsieur)
    On sent l’acharnement personnel.
    Franchement balancer des noms et démolir une réputation, c’est trop facile.

    J’ai plusieurs fois confié mes chaussures à cet artisan, sans aucun problème.
    Et le droit de réponse de l’artisan ??

    Beurk !!

  • il a transformé une de mes paires de boots santoni et il en a fait des merveilles!!!

  • Merci de ta réponse Stéphane, mais je me rends compte que je parlais très certainement de cette notion de « charisme » bien-souvent non-théorisable et qui instaure naturellement le fait que : à certaines personnes, on ne peut dire « non ». Cette notion particulière qui, à la simple démarche, au simple regard, geste, attitude, posture, fait que l’on « sait à qui l’on a à faire ». N’est-pas cette « fameuse » (fumeuse) notion qui, bien-souvent, fait s’ébranler les théories les plus structurées ? Cet, « indescriptible » ?

    J’aimerai beaucoup avoir ton avis sur le sujet.

  • Excellent article … comme d’hab quoi ^^
    Le peaufinage des détails et des séquences est extra, un plaisir à lire.
    En revanche si je peux me permettre, ce n’est pas « you can always get what you want » mais « you can’t always get what you want » (na négation du can) des Rolling Stones btw et malheureusement cela change pas mal de sens. Etant passionné et très audiophile c’est un détail qui compte pour moi :)

  • Excellente remarque. Ce con avait eu l’intelligence de commencer le « travail » sur un pied, ce qui rendait très délicat de récupérer la paire et de la présenter à une autre maison, qui aurait probablement refusé de reprendre un travail en cours. En tous cas, c’est ce que je me suis dit.

  • Très joli article. Plein d’humour sarcastique, plein de légèreté, qui se « grignotte » avec le plus grand des plaisir.

    Seule petite question, et après cette « éloge » pleine de sincérité, cela va de soi : cher Stéphane, ne t’es-tu jamais demandé si, tu n’étais pas également, en quelque sorte, « coupable », d’avoir permis à tel artisan de te laisser courir pendant 4 mois ?

    Lorsque l’on voit la classe de tes propos, ton style littéraire, (et tout le reste), on se dit que tu es en droit de réclamer ton dû un peu plus… fermement ? ^^

    Pour le reste : te lire est un régal !
    Merci. :)

  • Merci pour cet article. Juste une petite précision, les magnifiques pommadiers saphir (médaille d’or, pas la version basique souvent décevante) disponibles chez BHV Homme ne le sont plus depuis 1 an! Il faut aller dans le Xème arrondissement chez le grossiste pour les trouver. Les basiques sont au rayon droguerie du BHV…

    Par ailleurs, l’Atelier Cattelan a deux échoppes: laquelle est méritante sur ce sauvetage? celle du XIXème ou du VIème?

    Merci d’avance pour ta réponse.

  • Faire le choix de la qualité. Message transmis en filigranes tout le long. J’ai adoré ce texte. Merci.

  • La qualité ne court pas les rues, par contre les cornichons si, à en juger par le dernier message.(enfin, du moins ils parcourent les forums)

  • Pour ce qui est de la qualité de ton français, on écrit « je ressens », pas « je ressent » :P

  • Bravo,

    Après tout ces beaux conseils, après tout ces longs articles sur « lhomme, le mec, le vrai », je vois où on en arrive: un mec qui fait « une semaine dʼintense dépression » parce qu’il a perdu une parie de chaussures…

    Super, ça c’est l’attitude d’un vrai mec!!!

    Continuez comme ça les minettes, bientôt vous aurez une chatte à la place des couilles!!!

  • Le Laurent Di Mascio a effectivement fait un passage par Catelan, ils me l’ont confirmé pendant que je leur contais mes mésaventures. Mais cela ne change rien eu fait qu’aujourd’hui, il fait partie des 2 ou 3 plus mauvaises expériences de ma vie avec un artisan. Je lui avais promis que je le relaterais quelque part, voilà c’est fait.

  • Bonsoir Stéphane, à ma connaissance c’est Laurent Di Mascio lui-même qui réalise ce genre travaux pour Catelan. En tout cas c’était ainsi il y a 1 an et demi quand il était à la boutique dans le 7e. Bonne soirée.
    (si cette information, que je ne peux pas confirmer s’avère fausse, merci de supprimer ce message).

  • « Et surtout, si la couleur nʼétait pas tout à fait celle que vous vouliez, revenez me voir, hein »
    Il y en a qui ne doutent de rien…

  • Cher Stéphane, nous ferais tu le plaisir de nous montrer le résultat final et le talent de Catelan ?