Avoir un petit ami est-il devenu embarrassant ? (trad. FR)



Par Chanté Joseph pour Vogue • 29 octobre 2025 • Traduction Claude

Si quelqu’un commence ne serait-ce qu’à dire “mon fian…” sur les réseaux sociaux, je la masque.

Masquer les gens est le dernier pouvoir qu’il nous reste après avoir abdiqué devant les algorithmes. Pourquoi ce pouvoir a t-il été perdu, quand avons-nous lâché ?

Il n’y a rien que je déteste plus que de suivre un créateur pour me divertir, et que son contenu devienne soudainement centré sur “mon petit ami”.

  1. Tu viens pour le divertissement, tu restes pour la relation que tu entretiens avec eux
  2. Qui sont ces créateurs dont le contenu s’altère dès leur premier jour de relation ? Réponse : les femmes. Je publie sur internet depuis 2005, j’ai été en couple à de multiples reprises depuis lors, ça ne s’est jamais, jamais ja-mais traduit par une diversification de mes contenus.

C’est probablement parce que, pendant si longtemps, nous avions l’impression de vivre dans ce qu’une de mes Substackeuses préférées appelle le Pays des Petits Amis : un monde où les identités en ligne des femmes tournaient autour de la vie de leurs partenaires, une situation rarement observée dans l’autre sens.

  1. Patriarcaca & pleurniche non étayée (“c’est probablement” = je n’ai pas cherché mais je récite la cantique que je connais)
  2. Dans un environnement hostile, autour de quoi se forment les groupes : du feu. Plus il fait noir, plus il fait froid, plus tu as faim, plus tu vas converger vers celui qui dispose d’un feu, de nourriture, à boire et d’un toit

Les femmes étaient récompensées pour leur capacité à trouver et garder un homme, avec un statut social élevé et des éloges.

Tiens tiens, mais ça n’est pas la thématique n°1 des redpills qui pourtant vous horripile ? Je suis loin de partager leur religion, mais n’auraient-ils pas raison ?

C’est devenu encore plus étouffant lorsque cela pouvait être exploité sur les réseaux sociaux pour l’engagement et, si vous étiez assez sérieuse, des gains financiers.

Précision syntaxique :

  • par “engagement” elle n’entend pas officialisation du couple mais activité de ses abonnés
  • par “sérieuse” elle n’entend pas sincère ou dévouée à son compagnon, mais assidue dans sa création de contenus

Dès lors :

Aveu à peine maquillé : c’est la confirmation de ma thèse selon laquelle  -1- les influenceuses monétisent leur relation à l’instar de tout autre produit issu d’une collaboration commerciale et -2- à y regarder de plus près, il y a 2 relations dans l’histoire : celle qui lie le couple d’influenceurs, et celle qui lie l’influenceuse à son abonnées. Ces 2 relations coexistent mais sont amenées à devenir concurrentes, voire antagonistes. Et dans la majorité des cas, la 2ème l’emporte sur la la 1ère, ou bien la personne disparaît des réseaux.

Rappelez-vous : l’utilisation des RS est (dans les grandes lignes) gratuite pour les créateurs et les abonnés (les premiers étant généralement aussi abonnés à d’autres créateurs, l’inverse étant moins fréquent). Deux fois gratuit = 2 produits. En l’occurence :

  1. le temps de cerveau disponible© des abonnés
  2. la vie intime de leurs créateurs

C’est un couple diabolique, une valse vers l’obscur. Du moment que cette mécanique fatale quoiqu’évitable est enclenchée, les premiers sont voués à peser sur la vie (et le moral) des seconds. Les influencés dévorent progressivement leurs influenceurs. Sauf si ceux-ci ne les invite jamais à leur table. Ni même sur le seuil de leur maison. Ils pourraient regarder par la fenêtre.

Cependant, plus récemment, il y a eu un changement prononcé dans la façon dont les gens présentent leurs relations en ligne : loin de présenter complètement leurs partenaires romantiques, les femmes hétérosexuelles optent pour des signes plus subtils — une main sur un volant, des verres qui trinquent au dîner, ou l’arrière d’une tête. Dans les cas les plus déroutants, on voit des visages floutés sur des photos de mariage, ou des vidéos entières éditées professionnellement avec le fiancé commodément recadré hors de tous les plans.

Le combat pour le consentement est un vent qui souffle toujours dans le même sens apparemment… Cf les groupes Facebook de défense des “victimes” des arnaqueurs Tinder & cie.

Les femmes cachent le visage de leur partenaire lorsqu’elles publient, comme si elles voulaient effacer le fait qu’ils existent sans pour autant ne pas les poster.

A et non A anyone ??

Alors, qu’est-ce qui se passe ? Les gens sont-ils embarrassés par leurs petits amis maintenant ? Ou quelque chose de plus compliqué se produit-il ? Pour moi, cela semble être le résultat du fait que les femmes veulent chevaucher deux mondes : un où elles peuvent recevoir les avantages sociaux d’avoir un partenaire, mais aussi ne pas paraître si obsédées par leur petit ami qu’elles semblent culturellement ringardes.

Tous les adjectifs sont faux à dessin dans un but de confusion généralisée, à l’instar de ce reel sur les signes d’intérêt qui tourne et m’exaspère :

  • Les avantages ne sont pas sociaux mais économiques.
  • C’est la ringardise (supposée) qui est sociale et non culturelle

“Elles veulent le prix et la célébration du partenariat, mais comprennent l’aspect ‘normal’ de celui-ci”, explique Zoé Samudzi, écrivaine et militante. En d’autres termes, à une époque d’hétérofatalisme généralisé, les femmes ne veulent pas être perçues comme étant toutes centrées sur leur homme, mais elles veulent aussi la reconnaissance qui vient avec le fait d’être en couple.

On appelle ça vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Mais ce n’est pas seulement une question d’image. Quand j’ai lancé un appel sur Instagram, beaucoup de femmes m’ont dit qu’elles étaient, en fait, superstitieuses. Certaines craignaient le “mauvais œil”, la croyance que leurs relations heureuses susciteraient une jalousie si forte chez d’autres personnes qu’elle pourrait mettre fin à la relation.

À ce stade il convient pour être honnête :

  1. de rappeler l’origine ethnique de l’auteur de l’article, dont on ne me fera pas croire qu’elle est sans rapport avec la culture des sorts, du mauvais oeil et du vaudou
  2. qu’au delà des frontières de cette “culture”, l’ésotérisme est très présent dans les décisions engageantes des femmes, y compris emploi, déménagement, couple, etc. J’ai bien connu une astrologue, et plus récemment une tireuse de tarots : 80% de leur clientèle était féminine et les consultait pour des décisions d’une importance décisive.

D’autres s’inquiétaient de la fin de leur relation, et d’être ensuite coincées avec les publications. “J’ai été en couple pendant 12 ans et je ne l’ai jamais posté ni parlé de lui en ligne. Nous avons rompu récemment, et je ne pense pas que je posterai jamais un homme”, dit Nikki, 38 ans. “Même si je suis une romantique, j’ai toujours l’impression que les hommes vous embarrasseront même après 12 ans, donc les revendiquer semble tellement nul.”

Ou bien tout simplement qu’ils fassent baisser la cote du “produit” sur le marché ?

Mais il y avait un sentiment écrasant, de la part des femmes célibataires et en couple, que quelle que soit la relation, être avec un homme était une chose presque coupable à faire. Sur le podcast Delusional Diaries, animé par deux influenceuses basées à New York, Halley et Jaz, elles discutent de la question de savoir si avoir un petit ami est “ringard” maintenant. “Pourquoi avoir un petit ami semble-t-il républicain ?” lit-on dans un commentaire en haut.

En dépit d’un mid-term en demi-teinte, es républicains n’ont-ils quand même pas écrasé la dernière présidentielle ?

“Les petits amis sont démodés. Ils ne reviendront pas à la mode tant qu’ils ne commenceront pas à bien se comporter”, lit-on dans un autre avec des milliers de likes. En substance, “avoir un petit ami porte généralement atteinte à l’aura d’une femme”, comme l’a affirmé un commentateur. Ce qui est amusant, c’est que ces deux animatrices ont des partenaires, ce que je vois souvent en ligne.

Cf Noémie de Lattre, humoriste féministe toute contente d’avoir mis la main sur ce qu’elle qualifie elle même d’homme alpha

Même les femmes en couple se lamenteront sur les hommes et l’hétérosexualité — en partie par solidarité avec d’autres femmes, mais aussi parce qu’il est maintenant fondamentalement pas cool d’être une fille en couple.

Sédiments historiques d’un privilège de classe : celui qui consiste à dresser les listes de ce qui devrait être cool et de ce qui ne l’est pas. Classe ne survivant plus guère que dans la mode et le journalisme.

Ce n’est pas seulement dans leur imagination — les audiences sont dégoûtées de voir trop de contenu sur les petits amis, moi y compris, semble-t-il (comme l’indique mon utilisation libérale du bouton de sourdine). Lorsque l’auteure et contributrice de British Vogue Stephanie Yeboah a présenté son petit ami sur les réseaux sociaux, elle a perdu des centaines d’abonnés.

Elle a perdu les taré(e)s qui s’estimaient en relation exclusive avec elle, c’est plutôt une bonne nouvelle.

“Même si nous étions encore ensemble, je ne les posterais pas ici. Il y a quelque chose de gênant et embarrassant à poster constamment son partenaire ces jours-ci”, me dit-elle, ajoutant que “il y a une partie de moi qui se sentirait aussi coupable de partager mon partenaire constamment — surtout quand nous savons que le paysage des rencontres est vraiment mauvais en ce moment. Je ne voudrais pas me vanter.”

Notez que l’opinion du compagnon est indifférente : le gars est doublement cuck :

  1. parce qu’il n’est pas sur les photos
  2. parce que même quand il est question de lui in abstracto, dans un débat, son libre arbitre n’est pas considéré. Comme s’il était d’accord par défaut à figurer en photo. Et si ça n’était pas toujours le cas ? Avant d’être “répondue” la question ne mériterait-elle pas au moins d’être posée ?

Sophie Milner, une créatrice de contenu, a également connu des gens qui se sont désabonnés lorsqu’elle a partagé une relation amoureuse. “Cet été, un garçon m’a emmenée en Sicile. J’ai posté à ce sujet dans ma section abonnés, et les gens ont répondu en disant des choses comme ‘s’il te plaît, ne prends pas de petit ami !’ Elle admet que son contenu devient peut-être moins excitant lorsqu’elle est en relation.

Crée un contenu qui ne soit pas uniquement centré sur toi-même et tu verras que tu pourras te mettre en couple sans t’antagoniser tes followers

“Être célibataire vous donne cette liberté ultime de dire et faire ce que vous voulez. Ce n’est absolument pas le cas de toutes les femmes, mais je remarque que nous pouvons devenir plus ternes et édulcorées en ligne lorsque nous sommes en couple — moi y compris.” D’après mes conversations, une chose est certaine : le scénario change. Être en couple n’affirme plus votre féminité ; ce n’est plus considéré comme une réussite, et, si quoi que ce soit, c’est devenu plus un exploit de se proclamer célibataire. En tant que femmes hétérosexuelles, nous sommes confrontées à quelque chose avec lequel toutes les autres sexualités ont dû composer : une politisation de notre identité. L’hétérosexualité a longtemps été volontairement indéfinissable, il est donc plus difficile pour ceux qui sont à l’intérieur, et à l’extérieur, de la critiquer.

  1. Indéfinissable ?
  2. De l’intérieur + de l’extérieur : au final c’est pour tout le monde, quoi ?

Cependant, alors que nos rôles traditionnels commencent à s’effondrer, nous sommes peut-être forcées de réévaluer notre allégeance aveugle à l’hétérosexualité.

À ce stade je tiens à rappeler que les relations hétéro sont celles qui affichent un taux de séparation plus faible que celles entre individus du même sexe, a fortiori les lesbiennes. Fact.

Évidemment, il n’y a aucune honte à tomber amoureuse. Mais il n’y a pas non plus de honte à essayer et échouer à le trouver — ou à ne pas essayer du tout. Et tant que nous repenserons et critiquerons ouvertement l’hétéronormativité, “avoir un petit ami” restera un concept quelque peu fragile, voire controversé, dans la vie publique.

Un journaliste qui parle de sa “pensée” c’est comme un artiste qui présente son “travail” toutes les 5 min : les mots masquent difficilement l’absence d’une réalité.

Cela se produit également parallèlement à une vague de femmes qui se réapproprient et romantisent leur vie de célibataire. Là où être célibataire était autrefois un conte édifiant (vous finirez en “vieille fille” avec plein de chats), c’est maintenant en train de devenir un statut désirable et convoité — un autre clou dans le cercueil d’un conte de fées hétérosexuel vieux de plusieurs siècles qui n’a jamais vraiment profité aux femmes pour commencer.

Fallait le dire depuis le début, tout ça pour accoucher d’une souris, à savoir la thèse du pot de Yogourt, Lucille Peytavin etc. sur l’appauvrissement des femmes en couple qui reposerait sur :

  1. La sur-performance des hommes mariés (qui masque un biais de sélection évident : ce n’est pas tant que les hommes travaillent “mieux” en couple, c’est que les femmes choisissent majoritairement les hommes qui sont sur une piste ascendant de carrière)
  2. Un transfert de valeur non rémunéré via le ménage
  3. Un bénéfice santé/mortalité pour les hommes (réel et attesté par l’expérience, ex Thibaut, Fabien etc)
  4. Le retour sur terre du divorce (quand l’homme échappe à la fameuse prestation compensatoire car il est bien connu que, sans sa femme, il ne serait jamais arrivé à rien).

 


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