- Mar Fév 07, 2012 7:52 pm
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[size=150]Chapitre VI :
pour dîner avec le Diable, il faut une grande cuillère[/size]
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Durant les deux premiers mois de ma relation, mes rapports avec Vanessa furent, je puis aujourd'hui l'affirmer, absolument
imparfaits.
Elle était toujours ponctuelle, et jamais ne se présentait les mains vides. Le premier des cadeaux dont je me souvienne fut un reste de cornet glacé vanille-fraise, acheté au
Gelati d’Alberto derrière mon immeuble et arrivé sur mon palier parfaitement fondu par la canicule de l’été. J’en étais touché à lui lécher les doigts.
Il y eut aussi toutes sortes d’objets et de cartes diverses dont je me demandais toujours où elle pouvait bien les trouver et qui ne me laissaient jamais indifférent. Indifférence, justement, où comment résumer une personne qui semblait n’entretenir de rapport avec rien sinon elle-même. Je vous dirais bien que Vanessa accusait un haut niveau d’indifférence face à la réalité de mes actions, mais je serais encore en deçà de la réalité. Là où évoluait Vanessa, il n’y a plus de niveaux. Il y a des êtres pleins d’amour ; d’autres pleins de haine ou de bêtise ; Vanessa est remplie d’indifférence. Et cela me déstabilisait beaucoup.
Après le petit rituel du cadeau, elle déshabillait soigneusement ses gestes de toute trace d’affection ou de tendresse jusqu’à me donner l’impression de passer la journée en présence d’une parfaite inconnue. A ce stade vous avez probablement envie de la qualifier de froide mais vous auriez tort : Vanessa n’était pas froide, elle
était la froideur. Elle m’écoutait religieusement parler de ce que je voulais avec ses grands yeux de cocker triste jusqu’à ce que, à bout de sujets de conversation et surtout à bout de nerfs, je ne la ramène à la maison, où elle s’offrait docilement.
De rapports, je ne décris généralement sur ce site que les rapports amoureux. Les obsédés en sont pour leurs frais, la «caméra» s’arrête presque toujours à la porte de la chambre à coucher. Une fois n’est pas coutume, je suis contraint avec Vanessa d’évoquer la nature de nos rapports sexuels tant elle me parait imbriquée dans celle de notre relation. Dans l’exercice de décrire une femme bandante dans sa nudité, je connais la célèbre métaphore du corps qui serait un ensemble de courbes sur lesquelles se reflète la lumière. C’est beau. Mais en l’occurrence c’est à côté de la plaque. Vanessa ne reflète pas la lumière, ou bien je ne me souviens pas, ou bien encore il n’y avait pas assez de lumière dans l’appartement. Ce dont je me souviens en revanche, c’est de la chaleur de son corps. Vanessa bout à l’intérieur.
Un homme sait généralement ce qu’il représente pour une femme en observant l’intensité avec laquelle elle se crispe lorsqu’il la pénètre. Vanessa - et je n’ai jamais, jamais rencontré cela, ni avant ni depuis - vous fixe, impassible et dédaigneuse, de ses deux lacs bleus ouverts bien grands. Pendant d’interminables secondes, elle n’interagit pas avec vous. Je ne me souviens pas m’être senti aussi seul et perdu depuis l’instant de ma naissance. C’est seulement en revenant à vos esprits, quelques secondes plus tard, que vous remarquez la chaleur qui étreint votre membre. Vous n’êtes pas dans un vagin, vous êtes dans un four. Alors elle vous enserre de plus en plus fort et ondule son bassin musclé à votre rythme, comme si elle dessinait dans l’espace le mouvement parfaitement inverse au vôtre. Le plaisir qui survient est parfaitement, profondément incontrôlable et vous implosez littéralement en elle, avec une sensation de sorcellerie. Epouvanté de votre propre désir, les doigts gluants, ce n’est qu’en entendant le bruit de l’eau sur l’émail que vous réalisez qu’elle est déjà sous la douche. Vanessa se lave toujours après s’être offerte, puis se rhabille, se maquille, et se remet à vous regarder en silence avec ses grands yeux vides.
C’est ainsi que je passais des pans entiers de la journée à me demander ce qu’elle pouvait bien ressentir ou éprouver. La chair, le doute et la sensation d’interdit, tout ceci me donnait l’impression de m’asseoir chaque semaine à la table du Diable, et je n’étais pas certain d’avoir une cuillère assez longue pour dîner avec lui sans y laisser mes bras.
C’est un dimanche soir, comme d’habitude, que j’obtins - sans la réclamer - la première information un peu personnelle à son sujet. Elle n’était pas étudiante en Français à la Sorbonne comme elle me l’avait répondu par réflexe lors de notre première rencontre. Tous les soirs, elle se déshabillait dans un club de strip-tease. Elle me l’annonça vers minuit, sur la pelouse du cinéma en plein air de la Villette, où - fait assez rare pour être souligné, elle m’avait pris la main. Je n’osai retirer la mienne mais je pense qu’elle devint froide. Nous marchâmes ainsi jusqu’à un cabanon où je rendis les chaises longues et les couvertures qu’on nous avait prêtées, puis son téléphone sonna et après quelques mots en Estonien elle m’invita quelque part.
[size=150]Chapitre VII :
nuits blanches, masque noir[/size]
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